FDS : Présentez-vous en quelques lignes ?
Marie-Françoise: Je suis Marie- Françoise Poterau, présidente de l’association femme mixité sport. Association qui milite sur la place des femmes mais dans tous les niveaux : à l’accès à la pratique sportive, à l’accès aux responsabilités, à l’accès à la fonction d’arbitre femme, le statut des sportives de haut niveau, la médiatisaiton du sport féminin. Ce sont des sujets sur lesquels on milite beaucoup. Notre association a 20 ans d’existence et a été créée sous l’ère de Marie-George Buffet, une ministre qui a fait énormément pour le sport féminin.
Notre rôle, aujourd’hui, est d’aller au plus proche des territoires. Nous travaillons avec les collectivités territoriales qui nous sollicitent sur des conférences par rapport à la mixité et à l’égalité femme/homme, etc.
On développe des tutoriels éducatifs pour les enfants dans les écoles sur le décloisonnement des stéréotypes et l’apprentissage de la mixité.
On accompagne également des fédérations qui déploient des plans de féminisation. Il y a quelques années, le ministère des sports a demandé aux fédérations d’enclencher des plans de féminisation pour voir le sport féminin beaucoup mieux positionner dans les fédérations qu’il ne l’était. C’est un sujet que j’ai porté moi-même au sein du ministère tout simplement parce que moi aussi je suis, d’une part, une ancienne sportive en cyclisme qui a fait le premier tour de France féminin qui a existé de 1984 à 1989. Ce tour de France féminin sera de nouveau présent en 2022 parce qu’on a milité pour.
J’ai, d’autre part, été la première femme entraîneur en cyclisme. Lorsque j’ai voulu passer le concours de la fonction publique pour être cadre d’état en France, le concours n’était pas ouvert aux femmes en 1992. J’ai un papier collector que j’ai bien encadré. Tout ça m’a permis de faire ce chemin en bousculant les codes et surtout en ne baissant jamais les bras et d’être une personne qui est heureuse d’avoir rencontré certaines personnes durant son parcours qui l’ont aidée.
Aujourd’hui, je suis dans cette posture de présidente de Femix’Sports pour aider et accompagner les femmes pour aller plus loin dans le développement du sport en général.
Avant ma carrière, j’étais monitrice de ski. Et comme j’étais une jeune-femme, les seuls élèves que j’ai eu pendant 4 ans, ce sont les “jardin d’enfants”. Donc je ne donnais pas les meilleurs cours. J’ai connu toute ma vie ce sujet de me battre pour prendre ma place en tant que femme. J’ai moi-même fait du vélo par défaut parce que mon papa était entraîneur d’aviron. Et il ne voulait pas de fille à l’aviron.
J’ai un parcours un peu atypique de militante et sans certaines rencontres, peut-être que je n’aurais pas fait ce chemin. Aujourd’hui, quand j’ai des femmes qui viennent me raconter leurs sujets, leurs envies ou problématiques, je les accompagne. C’est pour ça que je suis à la tête de cette association.
Une grande sportive: cyclisme en été, ski en hiver
FDS: Pouvez-vous nous racontez brièvement votre carrière de cycliste de haut niveau ?
Marie-Françoise: Comme je vous le disais, j’étais d’abord monitrice de ski et le vélo était ma pratique sportive estivale. C’est vrai que j’ai eu très vite des résultats ce qui m’a permis d’être en équipe de France, de faire les 5 tours de France. Pour ensuite, avoir envie, après ma carrière, de passer sur le métier d’entraîneur. C’est là où je me suis heurtée à des barrières telles que l’impossibilité de passer le concours puisqu’il n’était pas ouvert aux femmes.
Lorsque j’ai pu le passer et que j’ai eu le concours en 1992, on n’a pas voulu me donner de poste d’entraîneur. On me disait qu’il n’y aurait jamais de femme entraîneur.
Je n’ai cessé de me battre, de vouloir prendre ma place.
Heureusement que j’ai rencontré des hommes qui m’ont soutenue et qui ont cru en mes capacités. J’ai également développé pendant cette période ce que j’appelle “le syndrome de la sur-exigence ». Comme c’était tellement exceptionnel et atypique,j’ai développé ce syndrome qui conduit à faire des erreurs et qui vous met dans un mal-être.
Quand j’ai compris tout ça, j’ai fait une formation de coach et j’ai désappris pour apprendre sur moi-même. Cette certification de coach m’aide énormément parce que j’ai développé des modules d’accompagnement à la prise de responsabilités pour les femmes dans le sport. Ce sont des réunions où j’apprends aux femmes à travailler sur leur posture, à prendre la parole en public à ne pas avoir peur du regard des autres, etc.
“J’ai toujours fait des études en parallèle.”
Marie-Françoise: Bien sûr un BAC et je me suis tournée ensuite vers un métier de secrétaire. Je me suis vite rendue compte que ce n’était pas ce qui me plaisait. Un peu par défaut mais avec le souci d’avoir un métier à côté puisqu’on n’était pas des professionnels dans le vélo. C’est comme ça que j’ai pu me tourner vers le métier de monitrice de ski, ce qui m’a beaucoup aidé. Effectivement une saison de ski c’est l’hiver et au printemps je ne faisais plus que du vélo ce qui était plutôt confortable pour moi.
J’ai toujours eu cette envie d’apprendre. J’ai toujours lutté sur le fait que je voulais prendre ma place sans être obligée de singer les hommes. Je voulais rester une femme, ressembler à une femme et chaque fois que j’allais dans des compétitions en tant qu’entraîneur, on me demandait si j’étais la femme du président ou la kiné. Je répondais que non, j’étais l’entraîneur.
FDS: Comment s’est passée votre reconversion professionnelle ?
Marie-Françoise: Ayant anticipé pendant ma carrière, le fait d’avoir des diplômes m’a facilité les choses. Ensuite, il fallait à l’époque et aujourd’hui encore, jouer un peu de chance. De rencontrer les bonnes personnes qui veulent vous faire confiance en tant que femme pour devenir entraîneur. J’étais la première femme entraîneur d’un club de garçons en Haute-Savoie.
J’en ai eu une page dans le journal comme si c’était quelque chose d’exceptionnel.
C’est toujours ce côté atypique qui ressortait mais j’ai eu la chance d’avoir eu, autour de moi, des hommes qui m’ont fait confiance et qui m’ont permis de faire la carrière que j’ai aujourd’hui.
Je suis également vice-présidente de la fédération française de cyclisme, c’est mon deuxième mandat. Le président m’a fait confiance sur ce second mandat et j’ai toute autorité sur les dossiers que je gère et effectivement c’est très important pour moi.
Je sais que je peux parfois être considérée comme un modèle. Ce n’est pas prétentieux que de dire que je fais partie des femmes inspirantes. Une jeune-fille que j’avais en école de vélo qui m’a téléphonée l’autre jour et qui m’a dit qu’elle voudrait faire le même métier que moi. C’est incroyable, je trouve ça génial !
Une militante féministe
FDS: FEMIX’SPORT c’est quoi ?
Marie-Françoise: Femix’Sports c’est une association depuis 1901 regroupant des gens bénévoles, au départ. Ce sont des militants et militantes sur la cause et viennent partager leur militantisme en prenant des responsabilités au sein de l’association.
C’est également des gens salariés, au sein de l’association, pour pouvoir assumer les dossiers à gérer.
Les dossiers qu’on a aujourd’hui sont des dossiers d’accompagnement des fédérations sur la féminisation. On donne des conseils, on place des jeunes stagiaires pour qu’ils puissent apporter leur aide à ces fédérations. On forme et on accompagne les dirigeantes. On a vu les failles dans les gouvernances et on a créé des modules d’accompagnement à la prise de responsabilité. Nous avons également créé un module d’accompagnement qu’on appelle de haut potentiel. C’est-à-dire une dizaine de femmes qui sont repérées chaque année et qu’on accompagne sur du mentoring, du coaching, de la formation à distance, etc.
“Elle a été créée il y a 20 ans.”
Marie-Françoise: On était déjà sur une volonté de dire qu’il faudra se battre pour que les femmes prennent leur place dans le sport. On est en 2021 et on se bat toujours pour que les femmes prennent cette place.
On a, tout de même, bien avancé. Il y a des lois maintenant. Par exemple en 2014 avec un pourcentage de femmes au prorata du nombre de licenciés dans les fédérations.
On est là pour militer. On est accompagné par le ministère des sports qui lui-même à des actions sur le sport féminin et qui nous en confie pour faire des conférences, pour expliquer dans les écoles les stéréotypes.
Aujourd’hui, je travaille beaucoup avec les écoles sciences-po de Lille, avec de jeunes étudiants qui ont envie d’engager cette thématique. Le travail de Femix’Sports est essentiellement de développer le sport féminin, de lui faire trouver sa place, de le valoriser et de le rendre équitable. On travaille aussi sur la médiatisation du sport féminin. Je dis toujours que ce qui n’est pas vu, n’existe pas. On a 20% de retransmissions de sports féminins à la télévision aujourd’hui, ce qui est beaucoup trop peu ! J’espère qu’à Paris 2024, on en verra à 50-50.
Quand vous ne voyez pas de rugby féminin à la télé, on ne peut pas donner envie à une petite-fille de faire du rugby.
“J’ai eu un parcours où j’ai galéré pour prendre ma place et j’ai aussi des gens qui m’ont aidée.”
Marie-Françoise: Maintenant je me dis que c’est à moi d’aider les femmes. Je me suis également engagée parce que je crois à une société mixte demain, on n’y est pas encore mais c’est de là que vient tout mon engagement aujourd’hui.
C’est, à la fois, redonner ce que les gens m’ont donné et poursuivre ce militantisme. Comme je vous l’ai dit, on aura encore des années et des années avant d’avoir un sport égalitaire.
L’égalité homme-femme: un combat du quotidien
FDS : Avez-vous aperçu des changements depuis la création de l’association au niveau des inégalités ?
Marie-Françoise: Oui ça a bien évolué, on travaille en collaboration avec le ministère des sports, avec les droits des femmes et avec le mouvement sportif qui est le comité national olympique et sportif. On met en place des choses et on essaye de vérifier qu’elles soient appliquées.
Par exemple, lorsqu’on a dit qu’il fallait 25% de femmes dans les conseils d’administration des fédérations, on a encouragé les fédérations à le faire et on a formé des femmes pour prendre ces postes.
Lorsqu’il y a de grandes causes à défendre comme “les violences sexuelles dans le sports”, il y a quelques années on ne pouvait même pas en parler, c’était tabou. Aujourd’hui, on aide les personnes, on leur donne les bons contacts pour qu’elles aillent faire leur déclaration.
On a un rôle de promotion, d’accompagnement et de prévention.
“Si la société avance, le sport va avancer.”
Marie-Françoise: Vous savez, l’avenir des femmes dans le sport c’est le même que l’avenir des femmes dans la société de maintenant. Je ne le dissocie pas parce qu’on avance en parallèle. Lorsque vous faites une loi, peu importe laquelle, le sport va forcément accrocher cette loi et on avance ensemble.
Je pense qu’on peut y arriver. Il faudra du temps mais l’avenir du sport féminin passera par l’avenir de la femme dans la société. Ce sont les mêmes problématiques que dans le monde de l’entreprise. Je fais partie de beaucoup de réseaux et on se partage les mêmes problématiques. En fait, on s’entraide, on se donne des conseils. Je pense que c’est la société en général parce que le sport n’est pas en dehors de la société, il est à son image.
“Oser avec un grand “O”.”
Marie-Françoise: Pour moi, oser est un verbe très fort que j’emploie beaucoup dans mes formations parce c’est oser être soi-même, oser prendre la parole en public, oser franchir une barrière, oser franchir la porte d’une association, oser demander de l’aide. En fait, “oser” toute la journée.
Ce verbe me parle énormément.
FDS: Merci Marie-Françoise pour ce moment !
Marie-Françoise: J’ai pris beaucoup de plaisir à faire cet entretien, merci beaucoup!
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